FACULTéS DE MéDECINE : éVITER à TOUT PRIX UNE ANNéE NOIRE (BILLET)

Par Kamal El Alami

La médecine, discipline exigeante et noble, se heurte à une pénurie mondiale de praticiens. La formation extrêmement longue, ardue et chronophage expose les étudiants et les internes à des risques psychosociaux considérables. Ce parcours jonché de défis, en plus des exigences des ordres des métiers de la médecine expliquent la carence criarde de praticiens.

Sous la conduite clairvoyante de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la stratégie marocaine pour la santé s’articule autour d’une approche holistique, intégrant harmonieusement les dimensions industrielles, infrastructurelles, pédagogiques et servicielles. Cette vision globale vise à accompagner le développement socio-économique du pays en dotant le secteur de la santé d’un capital humain à la hauteur des ambitieux projets en cours. La formation se positionne ainsi comme un pilier fondamental d’un système de santé performant et accessible à tous.

L’accès aux études de médecine, véritable parcours du combattant, est réservé à une élite d’étudiants brillants, animés par une vocation inébranlable pour ce métier humanitaire qui exige le serment d’Hippocrate lors de la soutenance de la thèse doctorale. Dotés de solides compétences scientifiques, ces futurs médecins font preuve d’une rigueur exemplaire envers eux-mêmes et leurs pairs, déterminés à triompher des épreuves d’un cursus exigeant et à devenir des praticiens compétents.

Traditionnellement, ce parcours de formation s’étendait sur au moins sept années d’une seule traite, sans la possibilité d’obtenir un diplôme intermédiaire ou de changer de carrière en capitalisant sur les années réussies. En d’autres termes, un étudiant en médecine est un bachelier jusqu’à l’obtention de son doctorat.

La réforme de la formation médicale au Maroc constitue indéniablement une initiative louable, notamment la mise en place de diplômes intermédiaires qui permettent de changer de filière pour ceux qui décrochent de manière précoce. De même, la création de nouvelles facultés de médecine, la construction de nouveaux centres hospitaliers universitaires (CHU), l’augmentation du nombre d’admis chaque année ainsi que la réduction d’une année de formation le cursus de base sont fondés sur de bonnes intentions à saluer.

Toutefois, un changement d’une telle envergure requiert une étude approfondie, une préparation méticuleuse, une conceptualisation claire du nouveau processus et une communication transparente et intense avec l’écosystème concerné. Ce dernier point semble avoir fait défaut en considérant la population cible comme soumise et sans propositions à formuler. La conduite du changement est une mission plus difficile que l’idéation et elle nécessite une écoute active avec une exposition claire des motifs et objectifs afin de faire adhérer les parties concernées et réussir la transition.

La mise en œuvre opérationnelle nécessite aussi une attention particulière afin d’identifier les éventuelles dissonances et les traiter de manière agile. À ce titre, la réaction des étudiants des facultés de médecine publiques reflète une lecture de terrain que les autorités concernées gagneraient à écouter et analyser afin de dissiper les malentendus et corriger les éventuelles imperfections. Elle traduit également une frustration légitime face à l’incertitude, au cumul des tensions et le sentiment de l’absence d’un dialogue constructif entre les parties prenantes.

Le manque de clarté et de communication autour de la nouvelle structure du cursus, ainsi que des difficultés d’opérationnalisation sur le terrain, ont engendré un rejet en bloc chez les étudiants. Cette situation a dégénéré en un bras de fer inédit avec les deux ministères concernés. Elle a aussi créé une impasse indigne d’un pays comme le Maroc, habitué à gérer avec dextérité des crises autrement plus complexes.

Malgré une ouverture initiale au dialogue, le ministère de l’Enseignement supérieur semble avoir opté pour une stratégie d’affrontement indirect, jouant une partie d’échecs gagnée d’avance et fatale à une élite de la jeunesse marocaine qui a choisi, par vocation ou par nécessité, la voie de la formation médicale publique au Maroc. La tenue d’examens pour les étudiants étrangers et militaires, tout en infligeant des notes éliminatoires aux étudiants nationaux otages de l’engrenage de la grève, témoigne de cette approche visant un échec et mat.

Dans une intervention télévisée à l’occasion de la présentation du bilan du gouvernement à mi-mandat, le Chef du gouvernement a affirmé avec fermeté que l’année blanche n’était pas envisageable puisque les facultés sont ouvertes et accueillent près de 3 000 étudiants qui suivent les cours et passent les examens. En d’autres termes, Plus de 90% des étudiants engagés dans le boycott s’exposent au redoublement, voire à l’expulsion. Ainsi, le fait d’écarter l’année blanche devient pire que de l’envisager.

En réalité, face à l’absence d’un dialogue responsable, les examens du second semestre risquent fort d’être boycottés, contraignant les étudiants à passer par la case rattrapage, synonyme de redoublement, voire d’expulsion pour certains. Si le gouvernement peut se targuer d’une victoire facile et apparente, les dommages collatéraux seront considérables. La crédibilité du système public de formation médicale, véritable ascenseur social pour des jeunes souvent issus de milieux modestes, s’en trouvera fragilisée. Les étudiants brillants pourraient se détourner de cette voie, préférant d’autres filières. D’ailleurs, le rapport publié en mai 2022 par la Commission nationale des étudiants en médecine (CNEMMDP) au sujet des conditions financières et sociales des étudiants fait ressortir les dures vérités des souffrances et misères de cette frange de la jeunesse.

Un tel dénouement de la grève risque également de compromettre l’objectif ambitieux d’atteindre 8.770 diplômés en médecine d’ici 2030 ainsi que les efforts d’atteindre et de dépasser, avant l’organisation de la Coupe du monde, le seuil critique de 23 médecins pour 10.000 habitants, préconisé par l’OMS. Pire encore, cette impasse pourrait accentuer le sentiment d’incompréhension des futurs médecins et les inciter à poursuivre leur carrière à l’étranger. La réduction du cursus à 6 ans, assortie de diplômes intermédiaires, n’est pas un obstacle en soi, d’autant plus que la médecine générale deviendra elle-même une spécialisation, allongeant de facto la durée de la formation à 8 ou 9 ans.

Le nouveau modèle de développement place l’éducation, la santé et la justice au cœur de ses priorités, et la stratégie du Royaume dans ces domaines est porteuse d’espoir. Le Maroc a besoin de synergies, et non de conflits stériles. Les facultés de médecine, au carrefour de l’éducation et de la santé, ne méritent pas de vivre une année noire.

Du côté des étudiants, les pertes sont déjà lourdes : une année d’études et de stages compromise, le risque de passer directement des rattrapages sans réelle préparation, la perte des instances représentatives démantelées par les facultés. Ceci agrémenté de la grande probabilité de perdre une année supplémentaire, voire le rêve de devenir un jour médecin.

Il est urgent d’entendre la voix de la raison. Les étudiants, dépourvus de l’expertise des syndicats, ne peuvent défendre efficacement leurs droits et leurs opinions. Les ministères concernés ne doivent pas les condamner par principe. Autant un retour à la table des négociations s’impose, afin de trouver une issue favorable pour tous, sans perdre de vue l’intérêt supérieur de la nation. Autant il est nécessaire d’adopter une nouvelle approche de dialogue avec le concours d’acteurs neutres qui apporteront plus de sagesse et de diligence.

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